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Chapitres 49, 50 et 51

18 Mai 2013 , Rédigé par Eddy Lavallée

49

Loin de nous l’idée de transformer ce récit en discussion sur la pluie et le beau temps, ne souhaitant aucunement dérober le fond de commerce des maisons de retraite et des petits bistrots, mais il est de notre devoir, par soucis d’exactitude, de préciser ce qu’il advint en cette fin d’année 1999.

Deux intenses dépressions atmosphériques, nommées Lothar et Martin, balayèrent la France les 26, 27 et 28 décembre 1999, occasionnant la plus violente tempête que les archives du pays n’eurent jamais consignée. Ces cyclones extratropicaux, nommés « bombes » par les météorologistes, traversèrent l’hexagone d’ouest en est, et firent souffler des vents atteignant des vitesses records : c’est ainsi que l’anémomètre de la Tour Eiffel resta bloqué à son maximum de 216 kms par heure, et que les plus violentes rafales dans les terres dépassèrent les 170 kms/h. Du jamais vu.

Les deux tempêtes successives dévastèrent tout sur leur passage, provoquant la mort de 91 personnes, entraînant une déforestation sans précédent, et privant 3,5 millions de foyers d’électricité. Elles ne laissèrent derrière elles que dévastation et désolation, les toitures arrachées et les bâtiments dévastés en ville répondant aux hectares d’arbres couchés comme des brindilles en milieu rural.

Ce fut la protestation de deux monstres, en somme, qui refusaient sans doute de voir s’approcher le troisième millénaire.

Le vent s’était déjà levé, accompagné d’une pluie fine mais cinglante, quand la Twingo et le Renault Express arrivèrent chez Joe. Les trois amis rejoignirent la porte d’entrée en courant, puis s’installèrent dans le salon. Les visages étaient fermés et pensifs.

Joe s’ouvrit une bière, dont il but la moitié d’un trait, et dit :

— Jusqu’ici, tout s’est bien passé, mais le plus gros reste à faire.

Julia se passa la main dans les cheveux, en inspirant profondément.

— C’est bon pour aujourd’hui, dit-elle. Essayons de penser à autre chose.

— Non, rectifia Joe. En fait, on ne peut pas se permettre d’attendre. Il faut enchaîner par le Rital ce soir même, parce qu’il sera bien plus méfiant s’il se rend compte que ses sbires ont disparu. Il pourrait même envoyer quelqu’un chez Jimmy pour voir ce qui se passe et y trouver les corps.

Il termina alors sa bière d’un second trait, apaisé par les assauts des molécules d’alcool qui commençaient à court-circuiter ses neurones.

— La réussite du plan en dépend, continua-t-il. Je vous ai déjà parlé à tous les deux des 36 stratagèmes, qui nous ont permis de manœuvrer jusqu’ici. Et bien les prochains que l’on va appliquer concerneront l’attaque finale du manoir du Rital. A propos de ces stratagèmes, je vais vous dire que le troisième est « Tuer avec une épée d’emprunt », c’est-à-dire qu’il préconise de faire effectuer les actions à risque par quelqu’un d’autre, afin d’en retirer le profit tout en ne se mettant pas en danger. Ceci aurait donc été pour nous une très bonne solution, seulement il aurait fallu trouver ce quelqu’un, et surtout cela ne nous aurait apporté aucune satisfaction. Laisser faire le boulot à un autre gusse n’aurait pas pu nous libérer. Voilà pourquoi j’ai décidé de ne pas l’utiliser. Je ne dis pas que mon plan est le meilleur, mais il a de bonnes chances de fonctionner.

Joe s’interrompit, et se demanda pourquoi il venait de dire tout cela. Cherchait-il à cautionner ses décisions ? Culpabilisait-il vis-à-vis de ses compagnons ?

— Moi je suis d’accord avec toi en tout cas ! lança Karl. Et pour terminer aujourd’hui, et pour faire le sale boulot nous-mêmes ! Et vive les chinetoques et leurs fourberies de stratèges !

Voyant que Julia était dépitée, Joe se tourna vers elle, lui posa la main sur la cuisse, et dit :

— De toute façon, tu as fait ta part du boulot, ça s’arrête là pour toi. Et dès ce soir, tout sera terminé.

La jolie blonde détourna les yeux et se laissa choir sur le dossier du canapé.

50

Les violentes bourrasques faisaient tanguer la camionnette blanche, et la pluie battante venait gifler les vitres et le pare-brise de façon si soutenue que les essuie-glaces, enclenchés à leur vitesse maximale, peinaient à offrir leurs interludes de visibilité.

Le soleil venait de se coucher, et le peu de clarté qu’il daignait encore dispenser ne permettait de voir qu’un plafond gris et épais, parsemé de flashes électriques, qui recouvrait de façon implacable un paysage rendu fou par le vent qui l’agitait en tous sens.

Joe et Karl laissèrent leur véhicule dans un chemin de terre situé à une centaine de mètres de la demeure du Rital. Ils étaient, pour des raisons évidentes de camouflage nocturne, vêtus entièrement de noir, et transportaient notamment des jerrycans. Parvenus à pieds aux limites du terrain du manoir, ils escaladèrent le talus qui le délimitait sur son côté ouest et qui offrait un point de vue intéressant sur la façade principale du bâtiment. Ils s’allongèrent entre un arbre et un buisson afin d’être les plus discrets possibles et pouvoir profiter de leur poste d’observation.

La nuit était maintenant complètement tombée, comme pour laisser libre cours aux éléments qui se déchaînaient. Les arbres étaient secoués comme de vulgaires herbes, et de nombreuses branches avaient déjà été arrachées et jonchaient le jardin et la route. Les bourrasques, rivalisant de puissance, se relayaient sans discontinuer dans leur véritable travail de sape. Le manoir, quant à lui, éclairé par intermittence par les flashes blancs des éclairs, avait l’allure inquiétante des vieilles bâtisses de films d’horreur.

Joe, tapis sur un matelas trempé fait de terre et de mousse, plaça sa main en visière afin d’épargner à ses yeux l’agression glacée des gouttes de pluie.

— Nous y voilà, dit-il. On voit de la lumière à deux fenêtres, mais il faut qu’on sache à combien de gusses on a affaire. C’est là qu’intervient le stratagème numéro 13 : « Battre l’herbe pour débusquer le serpent ». On les oblige à réagir pour qu’ils se dévoilent. Dans une bataille, on pourrait enclencher une fausse attaque, mais là, on va se contenter d’un truc plus con.

Il sortit alors d’une de ses poches deux gros pétards rouges qu’il avait achetés dans une droguerie. Il avait choisi le modèle le plus imposant parmi ceux proposés.

— Ah ! Des « Bisons 5 » ! approuva Karl en fin connaisseur. J’adorais faire exploser les boîtes aux lettres avec ça. Un jour, j’en ai enfoncé un dans le cul d’un cadavre de chevreuil et je l’ai allumé... Si t’avais vu la gueule du steak haché qu’il avait à la place du fion après ça ! A se pisser dessus !

L’évocation de ce doux souvenir ravit visiblement Karl qui arbora un large sourire de satisfaction.

Joe, moins enclin à se délecter du passé, se releva, prit un briquet et alluma les deux mèches en même temps. Quand celles-ci se mirent à grésiller, il les lança alors de toutes ses forces en direction du manoir, puis il se rallongea aussitôt. Un certain laps de temps s’écoula, durant lequel les deux amis observèrent avec attention l’environnement. Finalement, la première étincelle atteignit la poudre explosive qui fit voler en éclat sa gangue de carton et de silice. Une violente détonation retentit, bientôt suivi d’une seconde. Ces deux explosions firent claquer les tympans des deux amis malgré leur éloignement, et bien que la tempête fît souffler son abrutissant vacarme, il était parfaitement impossible que les résidents du manoir n’eussent pas entendu ce boucan.

Les deux vigies allongées avaient les yeux rivés sur le bâtiment, scrutant le moindre mouvement. Une silhouette apparut alors à l’une des fenêtres allumées, qui fut vite identifiée comme étant celle du Rital, puis la porte d’entrée s’ouvrit, laissant apparaître le garde et son rottweiler qui aboyait. Les deux hommes cherchèrent du regard la source de ce vacarme mais ne virent rien à cause de l’obscurité, pas même les vestiges des pétards. La porte se referma alors et l’ombre à la fenêtre s’éclipsa.

— Donc, on sait qu’ils sont au moins deux, murmura Joe, et il y a même des chances pour qu’ils ne soient que deux. En tout cas on peut l’espérer.

Il se tourna sur le flanc afin de regarder Karl.

— Pour la suite du plan, c’est simple. Comme le préconise le quinzième stratagème, il faut « Amener le tigre à quitter la montagne ». Tant qu’ils sont dans le manoir, ils sont trop protégés et on est en position défavorable. Ils faut donc les obliger à sortir pour les affaiblir. Et le plus simple, c’est de foutre le feu au bâtiment avec l’essence qu’on a apportée dans les jerrycans. Et dès qu’ils sortent, on les cueille.

L’expression de Karl surprit Joe. Il avait l’air pensif et contrarié.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Bah…, commença Karl. Je t’avais dit que j’avais une idée pour se débarrasser du Rital. Sauf que pour ça, on a besoin de la baraque, et ça tombe à l’eau si on la fait cramer.

Joe fut un peu surpris et n’apprécia pas que l’on remît en question le plan qu’il avait soigneusement mis au point, surtout au dernier moment.

— Ecoute, dit-il, on ne peut pas se permettre de tout changer maintenant. C’est trop tard. On s’occupera du Rital autrement, c’est pas grave. On ne peut pas se contenter de juste foncer dans le tas, le manoir est quasiment imprenable de cette manière avec le peu de moyens qu’on a. Par contre, si tu veux, tu pourras…

Un éclair terrible l’interrompit, figeant la scène de sa lumière crue et aveuglante, immédiatement suivi par la gigantesque détonation du tonnerre qui lui fit bondir les entrailles, et qui relégua les explosions des pétards au rang de vrombissements d’ailes d’insectes.

La foudre avait frappé un chêne sur le talus d’en face, à seulement quelques dizaines de mètres de l’observatoire. L’arbre fut fendu en deux par cette manifestation du ciel et commença à tomber sur le côté dans un terrible craquement de bois, arrachant dans sa chute la ligne électrique qui le longeait. Une gerbe d’étincelles jaillit, et toutes les lumières alentour s’éteignirent alors, y comprit celles du manoir.

A peine remis de la terreur que lui avait inspirée cette démonstration de force de la nature, Joe se releva et dit avec précipitation :

— On dirait bien que la question ne se pose plus ! La foudre vient de faire le boulot pour nous ! Ils vont forcément sortir pour voir ce qu’il en est, et on n’a même pas besoin de brûler la baraque. Il faut qu’on aille maintenant se mettre en position afin de nous retrouver dans leur dos !

Saisissant le pistolet de feu Jimmy, il dévala le talus vers l’intérieur de la propriété, et entreprit de traverser le terrain dans une course arc-boutée. Karl lui emboîta le pas, lui-même l’arme à la main. Les deux comparses parvinrent au niveau de la bâtisse et se plaquèrent contre la tour ouest, prenant position pour pouvoir observer l’entrée du manoir.

L’attente ne fut pas longue : la porte s’ouvrit bientôt, laissant s’échapper le faisceau d’une lampe électrique qui balaya le perron ruisselant d’eau de pluie.

— C’était sur la gauche ! prononça une voix indistincte.

Deux hommes apparurent alors sur le perron et commencèrent à en descendre les degrés. Le faisceau lumineux balaya ensuite la rangée d’arbres surplombant le côté est du terrain, faisant apparaître dans son cercle jaunâtre les branches et les feuilles s’entrechoquant en une furie chaotique. L’arbre abattu par la foudre fut alors dévoilé par la lumière artificielle, suivi du câble électrique qui avait été arraché.

— Putain de tempête ! fit une seconde voix étouffée par le vent.

Joe voulut taper du coude son ami pour lui indiquer qu’il était temps d’intervenir, mais ce dernier venait déjà de démarrer en trombe, avalant le terrain à grandes foulées. Joe se mit donc à sprinter à son tour.

Le temps sembla alors s’étirer, et tout se déroula dans une dimension différente. Lorsque Karl déboula derrière le Rital sans se faire repérer – couvert qu’il était par le déchaînement des éléments –, et qu’il lui asséna un violent coup de la crosse de son pistolet sur la nuque, Joe crut voir des détails impossibles à percevoir, tels que les gouttes de pluie balayées latéralement par le métal de l’arme, interceptées en pleine chute dans un hyper-ralenti. Idem quand le Rital s’affaissa inanimé sur le sol, Joe pensa voir toutes les ondulations de sa chair lors du choc, ainsi que toutes les fugaces expulsions d’eau, s’échappant d’en dessous en gerbes sombres.

Quand son homme de main se retourna finalement, apercevant la scène, et qu’il dirigea vivement la main vers sa poche, Joe le mit en joue sans y réfléchir et pressa la détente. Le coup partit, informel et implacable, et la balle perfora la poitrine du sbire qui s’effondra sur le coup. Joe n’avait pas encore réalisé ce qu’il venait de faire, que Karl achevait déjà la victime d’une deuxième balle dans le corps.

Jamais les détonations des coups de feu n’alerteraient les voisins, insignifiants qu’ils étaient par rapport aux bruits de la tempête.

L’homme désormais doté de deux nouveaux orifices ne bougeait plus. Il était mort. Le Rital, quant à lui, commença à revenir du pays des songes et à remuer faiblement.

— On les emmène dans la baraque ! cria Karl afin de sortir Joe de sa torpeur.

Tandis que Karl relevait le Rital en lui collant le canon de son arme sur la tempe, Joe s’attela à trainer le cadavre du sbire. Son poids, couplé à l’adhérence du terrain détrempé, rendait la tâche ardue.

Karl parvint donc en premier sur le perron et ouvrit la porte.

Il fit à peine un pas à l’intérieur qu’un molosse, surgissant des ténèbres, lui bondit dessus, et referma ses puissantes mâchoires sur son avant-bras.

Ils avaient tout simplement oublié la présence du rottweiler resté dans le manoir. Le chien, maintenant sa prise, secoua frénétiquement le bras de Karl et lui fit lâcher son pistolet. La bave du molosse se mêla bientôt au sang qui s’écoulait des plaies occasionnées par ses crocs.

Alerté par les grognements de l’animal, Joe se retourna et vit la scène. Il lâcha donc le corps qu’il tirait, se ressaisit de son arme, et courut sur le lieu de l’action.

— Karl ! Essaie de le mettre le plus loin de toi possible en tendant ton bras !

Ce dernier s’exécuta tant bien que mal, et Joe tira sur l’abdomen du chien quasiment à bout portant. L’animal lâcha sa prise, comme à regret, et poussa un gémissement. Il s’éloigna alors en direction du jardin, couinant et marchant fébrilement.

— Putain ! s’écria Karl. On avait zappé le clébard ! L’enfoiré, il m’a bien chopé !

Son avant-bras était en charpie, saignant abondamment, et l’un de ses os était brisé. Pourtant, Karl se redressa comme si de rien n’était et se contenta de resserrer sa manche afin de limiter l’hémorragie. Il ressaisit ensuite le Rital au col de son bras valide et le plaqua contre un mur.

— Joe ! dit-il. Va chercher la charogne de l’autre sac à merde et ramène-le ici pour le planquer.

Un nouveau coup de foudre s’abattit non loin d’ici, détruisant le toit d’une maison.

— Quant à toi, ajouta-t-il en s’adressant au Rital, on va s’occuper de toi comme il se doit. Patiente encore un peu mon couillon.

51

— Alors ? Qu’est-ce que tu comptes en faire ? demanda Joe en pointant le Rital du doigt.

— On va l’emmener au sous-sol, répondit Karl sans plus de précisions.

Les trois hommes se trouvaient dans le hall d’entrée du manoir, s’éclairant à l’aide de deux lampes torches. Tandis que le mafieux finissait de retrouver ses esprits, Karl s’éclipsa un instant et revint chargé de deux packs de bouteilles d’eau. Joe se demanda ce que pouvait bien avoir en tête son ami, et quelle torture il comptait appliquer à l’aide de cette eau.

— Allez, c’est parti, dit Karl en se dirigeant vers la porte en bois menant vers les sous-sols.

Ils descendirent l’étroit escalier qui s’enfonçait sous terre, puis parcoururent une partie de la galerie. L’humidité était plus importante que la dernière fois, ceci à cause de l’infiltration des eaux de pluie. Quand ils parvinrent au niveau de la salle de torture, le Rital se débattit et hurla :

— Espèces de petits enculés ! Vous allez le payer ! Quand mes hommes apprendront ça, ils vous feront regretter d’être nés et vous en voudrez à vos putes de mères de vous avoir expulsés dans ce monde !

Karl lança un vif coup de tête, qui brisa le nez du rebelle.

— Tes soubrettes sont déjà mortes, ma poule, dit-il. Là, t’es tout seul comme un grand. D’ailleurs, j’espère que tu ne les payais pas trop cher, parce qu’ils n’ont pas été plus difficiles à abattre que des enfants.

Le mafieux encaissa difficilement l’information. Un sang rouge vif s’échappait de ses narines. Karl le saisit par ses cheveux gominés et le força à continuer son chemin.

La vision de cette salle, dans laquelle il avait tant souffert, donna un frisson à Joe, accompagné d’un regain de haine.

— On ne s’arrête pas dans la salle de torture ? s’étonna-t-il.

— Non, je veux une pièce vide. Il doit bien y avoir ça dans le coin.

Quelques dizaines de mètres plus loin, une nouvelle porte apparut sur la paroi de la galerie principale. Karl l’ouvrit et jeta un bref coup d’œil en balayant l’intérieur de sa lampe. Il s’agissait d’une petite salle d’environ dix mètres carrés, aux murs de pierre et au sol en terre battue.

— Ici, ce sera très bien.

Le Rital fut jeté à l’intérieur comme un malpropre et s’étala de tout son long. Karl lui lia les poignets et les chevilles à l’aide de plusieurs colliers de serrage, puis il déposa les packs d’eau à côté et lui braqua sa lampe dans les yeux.

— Vous allez faire quoi ?! cria le mafieux avec une voix dans laquelle commençait à transparaître de la peur.

— Rien, répondit Karl. C’est ça le truc. On ne va rien faire. On va laisser la nature faire son œuvre. C’est pour ça que je ne voulais pas te larguer dans la salle de torture, car il y a trop d’objets avec lesquels tu aurais pu accélérer la chose. Or je veux que tu en profites le plus longtemps possible, tu vois ? Voilà pourquoi je te laisse une réserve de flotte. Sans boire, tu crèverais au bout de deux jours, alors que là, tu mettras bien deux semaines avant de clamser de faim. Deux semaines enfermé tout seul, dans le noir complet, à sentir ton corps se bouffer lentement lui-même. Et le plus drôle, c’est que même si ça te paraîtra horrible, il faudra que tu t’y accroches le plus longtemps possible. Parce que crois-moi ou non, mais j’ai vu ce qui t’attend après la mort, et à côté de ça, ta petite agonie aura l’air d’un doux souvenir… Et tu souhaiteras pouvoir y retourner de toute ton âme.

Joe avait écouté cette tirade avec étonnement et effroi. Le visage de Karl était éclairé par le reflet jaunâtre de la lumière de sa lampe, ce qui donnait à ses traits une allure surnaturelle. Son accent de folie sadique ne cachait pas à quel point tout cela avait été pensé et préparé, ce qui allait à l’encontre de tout ce qui caractérisait Karl.

Le nouveau Karl, qui avait été expulsé des Enfers, était donc capable de planifier sa haine. Joe en eut un nouveau frisson, plus intense et plus effrayant.

— Un dernier mot à dire ? demanda Karl à son prisonnier.

— Oui ! cria le Rital. J’vais vous dire que…

Karl le coupa net d’un coup de semelle sur son nez brisé.

— Non, je déconnais, on en a absolument rien à branler.

Joe et Karl sortirent alors de la pièce et verrouillèrent la porte à l’aide de la clé qui s’y trouvait.

Le Rital, affalé sur le sol, vit la lueur des lampes sous l’interstice de la porte s’affaiblir puis disparaître. Plongé dans le noir total, il n’entendit bientôt plus le son des pas de ses geôliers, et se retrouva totalement isolé dans les ténèbres. Commença alors, pour ce tyran déchu, le début de la fin de sa vie.

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