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Chapitre 13

6 Juin 2013 , Rédigé par Eddy Lavallée

L’homme à la cicatrice, qui avait observé ce préambule en fin connaisseur, adossé à la muraille, se redressa et s’approcha de la table de torture. Ce Jimmy était un personnage de haute taille et de constitution robuste. Sa balafre lui rayait la moitié gauche du visage, faisant se rejoindre le menton et la tempe. La légende locale voulait qu’il l’eût obtenue lors d’un tragique règlement de compte, qui avait entraîné la disparition pure et simple de trois jeunes de quartier, malheureux roquets qui s’étaient frottés à plus gros qu’eux.

Il avait certes apprécié la mise en place de la scène faite par les soins de son supérieur, mais ce n’avait pas été sans en ressentir un peu de frustration, car son plaisir de spectateur n’était en rien comparable à celui d’acteur. C’est pourquoi il éprouva une joie profonde au moment de ce passage de relais.

— Alors c’est à moi de jouer, dit-il pendant que le Rital quittait la pièce. On va commencer par un classique qui a toujours du succès.

Il prit un étau qui était posé sur l’établi et le plaça sur la table près de Karl. Le massif objet en métal, anodin outil de bricolage, était ainsi détourné de son usage, les tortionnaires ne faisant apparemment que peu de cas de la rigueur en matière de reconstitution historique. La référence à l’Inquisition était juste là pour le folklore, et ses techniques étaient sans vergogne remises au goût du jour et adaptées au matériel moderne.

De ses mains larges et calleuses, véritables battoirs implacables, Jimmy saisit le poignet droit de Karl et lui plaça l’index entre les mâchoires de l’étau. Il tourna ensuite la manivelle de façon à ce que les deux parties métalliques entrent en contact avec le doigt de la victime.

Karl, qui savait très bien ce qui l’attendait, trouva fort désagréable la sensation froide procurée par l’acier.

— Allez, on y va doucement, dit Jimmy en donnant un demi-tour de manivelle supplémentaire.

Cette fois-ci, les chairs furent compressées.

Le seuil de la douleur est identique chez tous les êtres humains, c’est-à-dire que le ressenti douloureux est perçu par chacun à partir d’une même intensité de stimulus. Mais la tolérance à la douleur, quant à elle, varie selon les individus. Or, de par son vécu, Karl avait connu maintes situations lors desquelles il avait été confronté à la douleur. Entre les accidents de la route, les rixes et les diverses blessures trouvant une autre cause, son corps l’avait habitué à ses signaux d’alerte. Voilà pourquoi sa tolérance était plus élevée que la moyenne. Il se promit une fois de plus de résister au maximum et de donner le moins de satisfaction possible à son tourmenteur. Impuissant comme il l’était, c’était le seul petit pouvoir qui lui restait et il comptait bien l’utiliser.

Le bourreau donna de nouveau un demi-tour de manivelle. Cette fois-ci, un craquement se fit entendre.

Les nocicepteurs de la peau, des muscles, des ligaments et des os perçurent le stimulus de forte pression. Ces terminaisons nerveuses véhiculèrent alors l’information sous forme de courant électrique qui se propagea lentement dans les neurofibres, à un peu moins d’un mètre par seconde. L’influx nerveux fut finalement transmis jusqu’au cortex cérébral qui interpréta l’information et provoqua la sensation de douleur proprement dite. Profonde et persistante.

Tout le corps de Karl se contracta. Un important afflux sanguin vint lui empourprer le visage.

— Oups ! fit Jimmy. C’est déjà en train de casser, je crois. Mais histoire d’être sûr, on va resserrer tout ça une fois de plus.

Un second craquement retentit dans la salle. Plus fort, mais surtout plus complexe, comme si le doigt venait de céder en plusieurs endroits à la fois. Ce son lugubre pénétra Joe jusqu’au cœur et lui fit détourner les yeux.

Karl expira involontairement tout l’air de ses poumons. Une nouvelle vague de douleur, plus intense encore, venait de le submerger. Il fut prit de nausée.

— Voilà ! jubila le bourreau. Maintenant on est vraiment certain que ça a pété !

Il desserra alors l’étreinte de la mâchoire d’acier et délivra l’index meurtri. Celui-ci était déjà bleu, brisé au niveau des articulations, et le motif quadrillé de l’étau l’avait marqué telle une vulgaire gaufre.

— Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il te reste encore neuf doigts ! Sans compter tes dix orteils ! Hé oui mon pote, t’as essayé d’arnaquer le mauvais gars. Le patron, il n’aime pas trop ça, qu’on essaie de l’entuber. Maintenant que t’es là comme un con, tu ne regrettes pas de t’en être pris à mon boss ? Réponds !

L’homme à la balafre s’était penché au-dessus du visage de Karl avec l’air menaçant. Ce dernier, qui avait une sueur froide qui lui perlait sur le front, prit une profonde inspiration et répondit :

— Espèce de pauvre guignol… Non mais tu t’entends parler ? « Mon patron ceci, mon boss cela… » Sérieux, j’ai jamais vu une lopette comme toi. On ne peut pas trouver plus soumis que ça. Donc là, je suis peut-être à ta merci pour le moment, mais dis-toi bien que dans ma vie, je n’ai de comptes à rendre à personne. Alors regarde ce que tu es et poses-toi la question de qui regrette quoi. Putain de lèche-couilles, me fais pas marrer à essayer de me donner des leçons. Regarde ta vie de merde. Contente-toi de faire le clébard pour ton maître et ferme ta gueule s’il te plaît.

Malgré la terreur qui le paralysait, Joe fut prêt d’admirer le courage de son ami. Mais il savait que le courage n’était séparé de la simple inconscience que par une frontière ténue : la réelle prise en compte du danger. Or il ne se faisait pas d’illusions sur le cheminement mental de Karl.

Le balafré, quant à lui, reçut cette réplique en pleine face. Un coup de poing l’eût moins atteint que ces quelques mots. Un tremblement nerveux agita ses lèvres.

— Ah tu la joues comme-ça…, grogna-t-il. Alors pour te laisser réfléchir tranquillement, je vais t’installer confortablement. Tu vas voir, tu vas adorer ça.

Il fit signe à son acolyte au crâne rasé de venir l’aider. Ils s’attelèrent alors à détacher les sangles qui immobilisaient leur victime à la table. Quand il sentit qu’il était désentravé, Karl tenta de nouveau de se débattre pour échapper à ses bourreaux. Jimmy, qui s’y attendait, saisit alors à pleine main l’index brisé de Karl et se mit à le tordre. La douleur le neutralisa aussitôt.

— Franchement, dit Jimmy, je serais toi, je me laisserais faire. T’imagines même pas ce que j’ai à disposition si je veux te calmer.

Il accentua encore la torsion du membre blessé. Karl émit un râle.

— Alors ? Tu veux toujours te débattre ducon ?

Karl montra qu’il abandonnait la partie.

Les deux tortionnaires le firent alors basculer sur le ventre et lui lièrent solidement les poignets dans le dos avec de la corde. Puis ils le soulevèrent de la table et le déposèrent au sol comme un vulgaire sac de ciment. La peau nue de Karl était en contact direct avec la froideur du sol, mélange de terre et de sable. Jimmy attacha alors aux chevilles de son prisonnier des lestes d’haltères. Ces disques de fonte pesaient au total 50 kgs.

Finalement, le balafré fit passer une corde dans un anneau rouillé scellé au plafond et en attacha une extrémité aux liens qui entravaient les poignets de Karl. Avec l’aide de son collègue, ils tirèrent ensuite de toutes leurs forces sur l’autre extrémité de la corde afin de hisser en l’air leur victime. A chaque étape de l’ascension, les deux bourreaux expiraient avec hargne, tous les muscles bandés, et Karl laissait échapper un grognement sourd de douleur contenue.

Quand Jimmy estima que la hauteur était idéale, il attacha à grand peine la corde à un second anneau scellé dans le mur. Il put alors admirer son ouvrage, en véritable maître d’œuvre.

Karl était suspendu à mi-hauteur entre le sol et le plafond. Du fait de la pesanteur, ses bras étaient tordus dans son dos, une force de levier terrible s’opérant sur les articulations de ses épaules et de ses coudes, et ce dans une direction anti-anatomique. Les lests attachés à ses chevilles, non seulement aggravaient la douleur infligée aux membres supérieurs en offrant leur masse à la force de gravité, mais mettaient aussi sous tension tout le reste du corps. La malheureuse victime était lentement écartelée, tous ses muscles, tendons et ligaments dangereusement étirés, saturant constamment son système nerveux d’informations nociceptives. L’aire somesthésique de son cerveau tournait à plein régime et l’informait sans cesse que ses tissus et organes subissaient des contraintes trop élevées.

La douleur, ce signal d’alarme qu’on retrouve dans tout le règne animal, a un rôle fondamental, celui d’informer que l’organisme est en train de subir des atteintes susceptibles de nuire à son intégrité. L’individu ainsi alerté peut alors remédier à la situation et se mettre hors de danger. C’est un mécanisme indispensable à la survie. Seulement, quand le danger, ou bien la cause responsable des stimulus, n’est pas éloignable, la douleur devient alors une information inutile et cruelle. Elle revient à annoncer perpétuellement à un cancéreux qu’il va mourir alors qu’il le sait déjà et n’y peut rien.

Karl eut d’abord une phase durant laquelle il contracta tous ses muscles afin de maintenir en place ses articulations le mieux possible. Il était écarlate et ses veines saillaient sur tout son corps. Mais vite à bout de force, ses muscles se relâchèrent un à un, laissant l’écartèlement faire son œuvre sans entrave. A l’issue de cette lutte désespérément inutile, il devint blême.

— Alors, t’es bien installé ? ricana Jimmy. Je t’avais dit que tu adorerais ! Donc maintenant, on va te laisser méditer un bon petit moment, et on va s’occuper de ton pote. Tu pourras regarder le spectacle, ne t’inquiète pas.

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N
gros clebs
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